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La pièce montée - extraits

ACTE 1     Tous sauf Annick
Rideau fermé. La salle n’est pas totalement éteinte. 
Entrée dans la salle, sur un côté (selon les possibilités), de Marie Eve et Noël (ils ne doivent pas remarquer la présence du public). Ils rient, se papouillent. Ils montent à l’avant scène. Noël essaie de la tripoter. 

Marie Eve    Non ! Arrête ! T’es fou !

Noël        Tu ne disais pas ça dans la voiture ! 

Marie Eve    Enfin Monsieur ! Vous oubliez que je suis votre supérieure hiérarchique.

Noël        Oui, mais là, on n’est plus en service ! Allez, viens !

Marie Eve    Non, pas ici ! Imagine, si Jean Paul arrive et nous surprend…

Noël                 De savoir que ton mari est juste là, derrière le rideau, ça m’excite encore plus ! Allez, juste un petit baiser.
(Il l’enlace. Elle se trouve face au public et réalise qu’ils ne sont pas seuls)

Marie Eve    Aaaaah !

Noël         Tu vois que tu aimes ça ! 

Marie Eve     Y’a… Y’a…

Noël         Tu veux le faire en allemand ? Encore un de tes phantasmes ?

Marie Eve    Non ! Y’a… du monde ! 

Noël         (il regarde en direction du rideau) Mais non, il n’y a personne.

Marie Eve    Pas là ! (montrant la salle) Là !

Noël         (se retournant) Aaaaaah ! Mais… c’est quoi ça ?

Marie Eve    Tu crois qu’ils nous ont vus ?

Noël         A moins qu’ils ne soient tous mal voyants… Mais ça, je n’y crois guère. 

Marie Eve    Mais qu’est ce qu’ils font là ?

Sylvain        (sort par centre rideau) Ah je savais bien que j’avais entendu des voix ! Pas trop tôt ! Ca fait une demi-heure qu’on vous attend ! Je ne vous demande pas ce que vous faisiez, on s’en doute… (Il voit le public) Aaaaaah ! Mais… mais qu’est ce que c’est…

Marie Eve    Des gens !

Sylvain        Merci pour la précision, je vois bien que ce n’est pas un troupeau de chèvres ! 

Marie Eve    Eh ben alors pourquoi tu poses la question ?

Sylvain        Je voulais dire : Qu’est ce qu’ils font là ?  


Noël        Peut être qu’il y a quelque chose de prévu, ce soir dans cette salle.

Sylvain        Mais non ! On nous aurait prévenus !

Marie Eve    Mais alors ?

Sylvain        Oh je sens  l’embrouille ! Je sens la GROSSE embrouille ! JEAN PAUL !... JEAN PAUL !!!

Jean Paul    (passant la tête par le rideau) Oui ! Qu’est ce qu’il y a ? (voyant  Marie Eve et Noël) Ah vous êtes arrivés ! Coucou ma chérie ! Je commençais à m’inquiéter.

Marie Eve    Euh… c'est-à-dire que… au commissariat… on devait terminer un rapport d’enquête pour demain. Ce qui explique notre retard. Voilà !

Noël    Voilà ! On a… terminé un rapport ! (coup de coude de Marie Eve)

Jean Paul    Je te l’ai déjà dit, tu travailles trop ma chérie ! Tu devrais lever le pied.

Noël    C’est ce que je n’arrête pas de lui dire. Encore tout à l’heure je lui disais : « Lève le pied, lève le pied » (coup de coude de Marie Eve)

Jean Paul    (il voit le public) Tiens, vous avez amené du monde ?

Sylvain    Bien sûr, ta femme et son am…

Noël    Eh !

Sylvain    …Mi !  Ta femme et son ami, arrivent toujours avec trois bus de spectateurs.

Jean Paul    Ah bon ? J’ai jamais fais attention !

Sylvain    T’es bête ou tu le fais exprès ? (se tournant vers Marie Eve) Je comprends pourquoi tu... (tête des deux) enfin je comprends ! Bref ! Là, il y a un  malaise ! Un sérieux malaise !

Martine     (sort par le rideau - à Jean Paul) Qu’est ce que tu fais Doudou ? (elle voit Marie Eve et Noël) Ah vous voilà enfin ! Je ne vous demande pas ce que vous faisiez ! 

Jean Paul    C’est ce que j’étais en train de dire. Le boulot, d’accord, mais y’a pas que ça. 

Martine    Mon pauvre Doudou ! 

Sylvain    Ce n’est pas le moment ! On a un gros problème. (il montre le public)  


Martine    Aaaaah ! Mais qu’est ce que c’est que ces gens ?

Sylvain    C’est le problème !  Dis-moi Jean Paul, tu n’aurais rien oublié ?

Jean Paul    Oublié ?… Non, je ne vois pas !

Sylvain    Tu te souviens, il y a quelques semaines… vu qu’on n’était pas du tout au point, on a décidé de…? de… ? de repousser les dates des représentations.

Jean Paul    Ben oui, je me souviens ! Je ne suis pas complètement idiot !

Sylvain    Et par conséquent, il fallait prévenir tout le monde. La Mairie, la presse, etc, etc. Il fallait aussi enlever les affiches. Tout ça quoi !

Jean Paul    Ben oui ! Et alors ?

Sylvain    Et alors ? QUI devait le faire ?

Jean Paul    J’en sais rien moi !

Sylvain    Il n’en sait rien ! Il n’en sait rien ! TOI ! C’est TOI qui devais le faire !

Jean Paul    Ah bon ? T’es sûr ?

Sylvain    C’est TOI-MEME qui t’es proposé. Tu as même ajouté « Si je ne le fais pas, il y aura encore des conneries »

Noël    Au moins la dessus, il avait raison ! « Si je ne le fais pas, il y aura encore des conneries » Eh ben, il ne l’a pas fait, et c’est une connerie.

Jean Paul    Ouais ben hein… on ne peut pas penser à tout, non plus.

Martine    C’est vrai ! Doudou il ne peut pas penser à tout !

Sylvain    Entre « ne pas penser à tout » et « ne penser à rien », ça laisse quand même de la place ! Non ? Et l’auteure ? Elle a été prévenue ?

Jean Paul    Je parie que c’était, aussi, à moi de le faire !

Sylvain    Mais oui ! Ca veut dire que… C’est pas possible ! C’est pas possible d’être aussi… Ca fait des mois qu’elle nous a dit qu’elle serait présente. Dès qu’on a décidé de repousser, tu devais la prévenir. La PRE-VE-NIR ! Tu comprends ça ? Téléphone ! « Allô ! Bonjour madame l’auteure, on doit changer de dates, ne venez pas le (date du jour) comme prévu. Désolé. Merci. Au revoir.» C’est compliqué ça ? Elle a 500 bornes pour venir. 500 bornes ! Et elle va faire quoi ? Visiter « Lieu de la représentation » un samedi soir ? Ah ça va follement l’amuser ! La vie nocturne de (lieu de la représentation), c’est un truc à voir ! 

Jean Paul    Ca va t’excite pas ! Si ça se trouve elle n’est même pas là ! Avec un peu de chance, elle a pu avoir un accident. 

Sylvain    Avec un peu de chance ?

Jean Paul     Ouais… enfin non… je voulais dire, elle a pu avoir un empêchement. Alors pas la peine de s’énerver pour rien.

Sylvain    Pour rien, qu’il dit ! Il est pas vrai lui !

Jean Paul    (A la salle) Elle est là, l’auteure ? Madame… C’est comment déjà son nom à cette con là ? (Note de l’auteur - Merci de ne pas employer le mot « conne ») 

Noël    Desplanche ! Cette dame s’appelle Desplanche ! Annick Desplanches !

Jean Paul    Elle est là Annick ?... Non ?... Ben tu vois, alors on se calme. En plus, ce doit être une vieille peau, jamais contente de rien. Je l’imagine bien un peu dans le genre Marilyne.

Marie Eve    Mais, eux (public) on en fait quoi ?

Jean Paul    Comment ça ?... Ah parce qu’ils ne sont pas avec vous !? 

Noël    Ca y est, il a compris !

Jean Paul    Mais alors pourquoi ils sont là ?

Noël    Ah non, il n’a pas compris !

Sylvain    Comment t’expliquer, avec des mots simples… 

Martine    Tu n’es pas obligé de lui parler comme à un débile. Doudou il peut très bien comprendre même avec des mots compliqués !

Marie Eve    Martine arrête ! Arrête de le soutenir sans cesse. On sait que c’est ton ex et que tu en es toujours accro. Mais maintenant, c’est MON mari, il faudrait quand même t’y faire.

Martine    Eh bien parlons-en !  Ah, on peut dire que tu t’es bien débrouillée. Tu me l’as volé ! Et on sait pourquoi ! 

Sylvain    Ah non, moi je ne sais pas ! Pourquoi ?

Noël    Dites, vous croyez que c’est le moment de ressasser ces vieilles histoires ?

Martine    Il y a un moment où il faut crever l’abcès ! Doudou et moi, on sortait ensemble. J’ai dû m’absenter quelques semaines pour…

Marie Eve    Oui ? Pour ?

Martine     Disons… pour raisons professionnelles.

Marie Eve    On peut appeler ça comme ça !

Martine    Quand je suis revenue, Doudou m’a annoncé qu’il était tombé amoureux de celle là et qu’ils étaient mariés. 

Sylvain    Le coup de foudre, ça arrive !

Martine    Le coup de foudre, tu parles ! La vérité, c’est que pendant que j’étais partie, Doudou avait gagné une grosse somme au loto. Forcément, il devenait très intéressant. Alors elle lui a mis le grappin dessus.

Marie Eve    N’importe quoi ! Tu étais partie, pour… raisons professionnelles comme tu dis. Il se sentait seul, il avait besoin d’une présence, il m’a fait pitié. J’ai appris à le connaître et voilà ! C’est tout !

Martine    Et s’il n’avait pas gagné au loto, il t’aurait fait pitié ?

Sylvain    En même temps, on peut comprendre. Et puis ce n’est certainement pas son physique qui l’a attirée.

Jean Paul    Non mais dis donc, toi ! Tu veux des baffes ?

Martine    Et mon pauvre Doudou, naïf comme il est, il n’a rien vu ! 

Marie Eve    Allez, c’est bon, on a un autre problème, plus urgent. Et puis arrête de l’appeler Doudou ! C’est pénible.

Jean Paul    Mais non, c’est pas Pénible, c’est Jean Paul !

Noël    Alors là ! Alors là ! On a ouvert les portes de la cinquième dimension !

Martine    Mais fichez lui la paix à la fin ! Vous profitez de sa faiblesse pour vous moquer de lui et pour… pour… 

Jean Paul    Pour ?

Marie Eve    Pour rien ! Tu sais comme elle a la rancune tenace.

Noël    Il serait peut être temps de passer à autre chose, non ?

Martine    En tous cas, elle, elle n’a pas mis longtemps pour passer à autre chose ! Hein ?

Sylvain    Allez, STOP ! Je vous rappelle que… (geste vers public). J’expliquais donc à Jean Paul que, ces gens que tu vois, c’est un public. Notre public. Qui est venu, ici, ce soir, pour assister à une représentation de théâtre. La représentation qui a été a-nnu-lée ! Annulation dont TU devais faire part à tout le monde. Mais apparemment, il n’y a que nous qui sommes au courant de cette annulation, parce qu’un abruti sans cervelle a oublié de faire son boulot. Tu vois de qui je parle ?

Jean Paul    Je commence à en avoir une vague idée. Bon, ben oui, j’ai oublié ! Ca arrive non ? Franchement, je ne vois pas où est le problème. C’est pas compliqué.

Martine    Il a toujours la solution Doudou !

Sylvain    Vas-y ! Explique ! Je suis curieux de la connaître, ta solution.

Jean Paul    On leur dit tout simplement : « Bonsoir Messieurs-Dames. Désolé, mais on ne joue pas ce soir, alors vous ne pouvez pas rester. Il faut rentrer chez vous. On vous préviendra quand on sera prêt ». Voilà ! Alors ça, je me propose pour le faire parce que sinon il y aura encore des conneries de faites.

Sylvain    (à Marie Eve) J’ai juste une question. Il est débile de naissance ou il s’est passé un truc ?

Martine    Attention à ce que tu dis ! Sinon…

Sylvain    Tu ne me frapperais tout de même pas ?

Martine    A ton avis ?

Marie Eve    Tout le monde se calme, s’il vous plait ! Il faut prendre une décision. D’abord, ne pas faire de scandale devant eux. On passe derrière le rideau, on met les autres au courant et on avise. Allez hop ! 

Martine    Et pourquoi c’est toi qui décides ? T’es pas dans ton commissariat ici ! C’est pas toi qui commandes.

Sylvain    Excuse-moi, Martine, mais je pense qu’elle a raison. (au public) Veuillez nous excuser, on revient tout de suite… ou pas.

Ils rentrent tous. On entend des éclats de voix. Différentes têtes passent  à travers le rideau. Nouveaux éclats de voix. Marilyne  est poussée à l’avant scène par les autres. Elle veut rentrer mais les autres l’en empêchent.

Marilyne    Pourquoi c’est à moi de le faire ?

Sylvain        (tête par le rideau) Parce que tu veux toujours jouer au chef ! Alors profites-en ! 

Marilyne    Mais qu’est ce que je dis ?

Sylvain        Improvise !

Tous les autres vont passer leur tête centre rideau et sur les côtés. Noël et Marie Eve sont l’un vers l’autre. Martine vers Jean Paul. Jean Pierre mange un sandwich. 

Marilyne        (Essayant de prendre une contenance et être gaie) Hé ! Bonsoir ! Ah, quel plaisir de vous retrouver. Depuis le temps qu’on attendait ce moment. Vous nous avez manqué ! Alors… ce soir… nous vous avons réservé une surprise. Ah ah ! Laquelle ? (en aparté) Si je le savais…

Jean Pierre    (en mangeant) Allez courage ! 

Martine    On ne t’a jamais dit qu’on ne parlait pas la bouche pleine ?

Julie    Allez ! Active ! Trouve un truc, n’importe quoi, mais ils ne peuvent pas rester !

Marilyne    Si tu crois que c’est facile…

Martine    On aurait envoyé Doudou comme je le disais, il y a longtemps que le problème serait réglé !

Jean Paul    C’est sûr !

Jean Pierre     Allez, magne-toi un peu ! Je ne voudrais pas me coucher trop tard, parce que demain… j’ai rien à faire.

Marilyne    Tu veux le faire à ma place ?

Jean Pierre    (mangeant) Je peux pas, j’ai la bouche pleine !

Julie    Tu parles toujours de ta grande expérience devant un public ! Alors assure, pour une fois.

Marilyne    Comment ça, « pour une fois » ? D’accord ! Alors je vais assurer,  et assumer !     Messieurs-dames, la surprise que nous vous avons réservé, c’est que… c’est que…

Jean Pierre    (la bouche pleine) Alors, c’est que quoi ?

Marilyne    Que… 

Julie    Quel suspens !

Jean Pierre    Et dans suspens, il y a… pens !

Julie    Toi, pour une fois que tu viens à une répétition, t’as pas trop intérêt à la ramener.

Marilyne    Alors… cette surprise…

Jean Paul    Oui, c’est quoi la surprise ?  J’aime bien les surprises !

Marie Eve    C’est pas le moment de la ramener, toi non plus ! Aaah ! (elle sursaute, regarde Noël, et fait une tête du genre « c’est pas le moment ») 

Noël    Tu la sens venir la surprise ?

Marie Eve    Ah là, oui ! Je la sens bien venir !  (Noël lui fait signe de le suivre, ce qu’elle fait)

Marilyne    Donc,  la surprise, c’est que… pour la première fois, et sans doute, la dernière, vous allez, ce soir… assister à… une répétition publique !

Tous    QUOI ???

Julie    Mais t’es malade !

Marilyne    J’assume ! Vous voulez quoi ? Qu’on les renvoie chez eux ?

Tous     Ah oui, oui oui !

Marilyne    Qu’on les rembourse ?

Tous    Ah non, non, non !

Sylvain    Le décor n’est même pas fini !

Marilyne    On s’en fiche puisque ce n’est qu’une répétition ! C’est parti ! Tout le monde en place !

Jean Pierre    (mangeant) Une seconde, j’ai pas fini !

Tous rentrent. Les lumières s’éteignent.

ACTE 2
Pendant que le rideau s’ouvre, dans le noir, on entend les 11 premiers coups traditionnels. Rideau ouvert. Lumière. Décor non monté complètement, il peut y avoir par exemple, un fond et un côté, l’autre côté étant en cours de montage). Sylvain est sur un escabeau, avec un marteau.  Il frappe les trois coups, en ajustant un panneau du décor. Sur scène, Jean Paul. Marie Eve et Noël ne sont pas présents. Les autres sont assis sur les côtés. Jean Pierre s’est assoupi. Sylvain s’occupera du décor, des accessoires, des costumes. Marilyne est à l’avant scène, texte à la main. 

Marilyne    Allez les enfants, on y va ! Et faites-moi une bonne répétition.

Jean Paul    Regardez-là, l’autre ! Dès qu’il y a du monde, il faut qu’elle se la pète !

Julie    Même quand il n’y a personne !

Marilyne    On commence Acte 1 – Scène 1. Sur scène, Jean Paul…

Jean Paul    (au garde à vous) OUI CHEF !!!

Marilyne     Noël et Jean Pierre… Il est où Noël ? (regards de tous qui cherchent)

Julie    A mon avis,  il est avec Marie Eve, dans la loge, en bas.

Jean Paul    Mais qu’est ce qu’ils font ?

Martine    Pauvre Doudou !

Julie    Je vais les chercher ! (réfléchi une seconde et prenant un air dégoûté) Ah non ! Je ne tiens pas à voir ça ! Bah ! Je vais les appeler plutôt ! (elle va côté décor non monté) NOEL ! On a besoin de toi sur scène ! Range les outils !

Jean Paul    Ah ils font du bricolage ! Quelle idée à cette heure ci !

Sylvain    Il est sidérant ! Je dirais même plus, il est sidéral ! Il vient d’une autre planète, c’est pas possible autrement !

Noël et Marie Eve reviennent. Ils sont un peu « défaits »

Noël    On me demande ?

Arrivée de Madame Desplanches dans la salle

Annick    (du fond de la salle, fort)  C’est déjà commencé ? Ils auraient pu attendre que j’arrive. Déjà qu’il n’y avait personne pour m’accueillir… (elle s’avance dans l’allée, lentement) Et on n’y voit rien en plus ! (fort) C’est possible d’allumer la salle ? On n’y voit rien ! HE ! LUMIERE !

Jean Paul    Qu’est ce que c’est que cet énergumène ? Y’en a qui sont sans gêne !

Annick    LUMIERE DANS LA SALLE S’IL VOUS PLAIT ! 

Jean Pierre    (se réveillant) Qui c’est qui braille comme ça ? Jamais moyen de dor… de se concentrer.

Julie    Se concentrer !? Tu sais que, quand tu te concentres, tu ronfles !?

Annick    ALORS LA LUMIERE CA VIENT ?

Sylvain    Non mais dîtes donc vous ! Vous n’avez pas l’impression de déranger tout le monde    ? Déjà que vous arrivez en retard, vous pourriez avoir la décence de le faire discrètement.

Julie    Tu peux être sûr que c’en est encore une qui arrive après l’heure pour ne pas payer sa place.

Annick    (elle est maintenant devant la scène) De quel droit osez-vous me parler de cette façon ? Savez-vous qui je suis ?

Jean Paul    Une emmerdeuse, ça ne fait aucun doute !

Annick    Ca alors ! On peut dire qu’on est bien reçu chez vous ! Faire près de 500 km pour se faire traiter de la sorte.

Noël    Attendez ! Attendez ! Vous avez dit… 500 km ? Mais alors vous seriez… Madame Desplanches ?

Annick    Elle-même en personne ! Annick Desplanches ! Auteure de cette magnifique pièce qu’est « L’affaire Bailly ». Pièce que j’ai eu la bonté de vous autoriser à jouer. Autorisation que je peux, vous retirer sur le champ.

Jean Paul    Aïe ! Je crois que j’ai fait une boulette !

Julie    T’inquiète ! Une de plus ou de moins…

Sylvain     J’allume la salle, qu’on voit à quoi elle ressemble. (lumière salle – Tous les autres viennent à l’avant scène pour la détailler, sauf Marie Eve et Noël qui s’éclipsent discrètement) 

Jean Pierre    Ca ressemble à ça un auteur ! Eh ben ça ne vaut pas le déplacement ! (Il ira s’assoir et se rendormira)

Jean Paul    Je la pensais plus jeune !

Julie    Pas moi ! Vu la façon d’écrire, je me doutais que c’était une vioque ! 

Martine    Moi je la trouve très élégante !

Julie    Elégante ? Evidemment, pour toi qui t’habilles comme un sac…

Marilyne    (les bouscule et se place devant, essayant de faire bonne impression) Madame Desplanches ! Quel grand honneur de vous recevoir ! Vous avez fait bonne route ? 

Annick    500 km pour arriver dans un trou perdu et se faire recevoir comme un chien dans un jeu de quille… ! Je m’attendais à autre chose ! Bref, je suis là ! Ce voyage m’a beaucoup fatiguée, avez-vous prévu une bonne place pour moi ?

Marilyne    Mais bien sûr madame Desplanches ! La meilleure ! (elle descend de scène et place une chaise devant le premier rang) Tenez Madame Desplanches ! Installez-vous bien confortablement madame Desplanches. Vous voulez un petit coussin madame Desplanches ?

Annick    Non merci ! 

Marilyne    Bien, alors, on va reprendre, si vous le voulez bien.

Annick    J’aimerais bien ! Je suis venue pour ça ! (Marilyne remonte sur scène) 

Sylvain    Je ne voudrais pas encore me mêler, mais… tu ne penses pas qu’il faudrait lui expliquer ?

Marilyne    Expliquer quoi ?

Sylvain    La situation ! La représentation, devenue répétition.

Julie    Si vous voulez mon avis, on est dans le caca ! Je ne sais pas comment tu vas lui dire, mais elle risque de ne pas bien le prendre.

Marilyne    Et pourquoi ce serait encore à moi de le faire ?

Jean Paul    Laissez, je m’en occupe !

Martine    Ah mon Doudou ! Voilà un vrai chef !

Sylvain    Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée.

Jean Paul    Bonsoir Annick ! Permettez que je vous appelle Annick, hein, entre gens de théâtre, on ne va pas faire de chichis. Alors voilà ! Euh… A vrai dire, on est surpris de votre présence.

Annick    Je ne vois pas pourquoi ! Je vous avais prévenu de ma venue.

Jean Paul    Bien sûr ! Mais… pas aujourd’hui !

Annick    Comment ça, pas aujourd’hui ? Nous sommes bien le…(date du jour) comme vous l’indiquiez dans votre e-mail.

Jean Paul    Mon ? imêle ? Mais j’ai pas envoyé de imêle, je ne sais même pas ce que c’est qu’un imêle. Non, moi j’ai envoyé un courrier électronique.

Julie    Eh Cromagnon ! E-mail et courrier électronique c’est la même chose ! « Mail » c’est « courrier » en anglais et « i » c’est le « e » de… non, laisse tomber, tu vas rien comprendre. Continue !

Jean Paul    Si il faut parler anglais maintenant ! Bon ! Alors, Annick dans mon message, je disais que nous jouions le … (date 1 mois plus tard)

Annick    Je ne comprends pas ! Je suis certaine que vous mentionniez la date de ce jour. Vous me prenez pour une idiote ?

Marilyne    Oh non madame Annick ! Oh non !

Julie    Un peu quand même !

Annick    De plus, si vous n’avez pas de représentation ce soir, pouvez-vous m’expliquer ce que vous faites là, et ce que font tout ces gens dans la salle ?

Julie    Allez Popaul, à toi de jouer !

Jean Paul    (tous sont pendus aux lèvres de JP) Euh… alors euh… oui, en effet… je parlais aussi d’aujourd’hui… mais euh… pour dire… que… que afin de tester la pièce, nous avions l’habitude, de faire, un mois avant la première, une répétition publique. Et c’est donc ce soir. C’est exactement ce que je disais dans mon « imêle ». Vous avez dû confondre les deux dates. Voilà !

Martine        Ah oui, ça c’est bien trouvé ! Quel homme ce Doudou !

Julie    Là, je dis : Super menteur, mais chapeau l’artiste !

Annick    Pourtant il me semblait bien que… mais j’ai peut être fait une erreur. Au temps pour moi ! Dîtes, mon ami, à propos de ce message, puis-je vous suggérer, en passant, de prendre quelques cours d’orthographe ?

Martine    Mon Doudou ? Des fautes ? Non mais pour qui elle se prend celle là ! Alors parce que Madame est auteure…

Jean Paul    Non, laisse Martine, c’est vrai que je peux faire quelques fautes par inadvertance. On ne peut pas être bon en tout. Chère Annick, je fais peut être quelques fautes mais, permettez-moi de vous dire, que vous, si vous saviez lire correctement, vous n’auriez pas fait le déplacement pour rien.

Annick    Mais enfin !

Jean Paul    C’est ballot ! Alors je pense qu’il ne vous reste plus qu’à remonter dans votre voiture et rentrer chez vous.

Annick    Mais il n’en est pas question !

Martine    Vous n’allez tout de même pas rester pour une simple répétition.

 Annick    Mais si ! Mais si ! Ca m’intéresse beaucoup, justement ! Un auteur se déplace toujours pour une représentation, mais jamais pour une répétition. C’est dommage de ne pas voir comment travaillent les troupes. Alors avoir cette chance, ce soir,  je ne vais pas la laisser passer. Et en plus, je vais pouvoir vous conseiller, vous corriger. 

Tous    Hein ???

Marilyne        Mais oui, c’est génial ! Avoir l’auteure sous la main. Pouvoir montrer mon talent à une vraie professionnelle ! Enfin l’heure de la consécration ! Venez madame Annick ! Montez sur scène, vous serez encore mieux.

Julie    Mais elle est malade dans sa tête !

Sylvain    Ca va être une cata ! Annick monte sur scène. Marilyne la fait assoir sur un côté et ne la lâche pas. 

Marilyne    Bon, autant vous prévenir, c’est loin d’être parfait, mais vous allez pouvoir apprécier mon travail. Oui, je dois le dire en toute modestie, c’est moi qui fais la mise en scène. Pour tout dire, c’est moi qui dirige tout ce petit monde. Allez les enfants, on répète ! Acte 1 scène 1 ! Jean Paul, Noël… Où il est encore celui là ?

Julie    Je pense qu’il n’avait pas fini de… bricoler ! NOEL ! SUR SCENE ! (Marie Eve et Noël reviennent un peu ébouriffés) Coïtus interrompus ? Désolus !

Marilyne        Jean Paul, Noël et Jean Pierre !... Jean Pierre !

Julie    (avec un coup de coude) OH ! LE VIEUX ! DEBOUT !

Jean Pierre    Hein ? Quoi ? On mange ?

Marilyne    On répète Acte 1 – scène 1 ! Alors on t’attend ! 

Jean Pierre    Mais c’est pas moi qui commence !

Jean Paul        Ben si ! Acte 1- scène 1 : Monsieur Bailly, c’est Noël, Fredo le malicieux, c’est moi et Jo le fou, c’est toi.

Martine    Je confirme ! Doudou à raison ! Comme toujours.

Jean Pierre    (se lève et va sur scène avec son texte) Mais non ! Moi je fais le policier 1, j’arrive dans le 2e acte.

Marilyne    Le policier 1 ? Mais, il n’y a pas de policier dans cette pièce… Attend ! Fait voir ton texte. (elle le lui prend des mains). « Titre de la dernière pièce jouée (ou autre) ». C’est le texte de l’année dernière. Ne me dis pas que tu as appris le texte de l’année dernière sans t’en rendre compte.

Jean Pierre    Aaaah ! Je savais bien que ça me disait quelque chose !

Julie    Qu’il est con ! Mais qu’il est con ! Même si on ne te voit pas souvent, tu es quand même bien venu à une ou deux répétitions. Tu n’as pas remarqué que tu n’avais pas le même texte que les autres ?

Jean Pierre    Ben non ! Quand je suis venu, on n’a jamais fait l’acte 2. Alors comme je ne rentre qu’à l’acte 2… Et puis moi, je ne m’intéresse pas aux textes des autres. Déjà le mien j’ai du mal, alors si en plus il faut connaître celui des autres…

Jean Paul    Il y en a qui n’ont vraiment rien dans la tête !

Julie    Eh oui ! Vous êtes de la même famille, non ?

Jean Paul    Non pas du tout ! D’ailleurs il n’y a qu’à nous regarder. On ne se ressemble pas du tout.

Julie    Physiquement, non ! Mais côté connerie… 

Martine    Attention à ce que tu dis toi ! N’agresse pas Doudou ! Non mais pour qui elle se prend celle là ?

Annick    (à Marilyne) Vous laissez faire, vous laissez dire ? Drôle de façon de diriger !

Marilyne    (gênée) C'est-à-dire…

Annick    Après tout, vous faites comme vous voulez ! Dîtes-moi, je n’ai pas eu le temps de dîner. Auriez-vous quelque chose à grignoter ?

Marilyne    Mais bien sûr ! Jean Pierre, toi qui est un garde-manger ambulant ! Tu peux donner un de tes sandwichs à Madame Annick ?

Jean Pierre    Ca ne va pas non ! Et puis quoi encore ? 

Marilyne    Tu en as toujours des tonnes ! Tu peux en donner un !

Jean Pierre    Pas question, elle n’avait qu’à prendre ses précautions ! Et puis si je lui en donne un, il va forcément me manquer des calories. 

Marilyne    Mais enfin…

Annick    Laissez, ça ne fait rien ! Je ne voudrais pas priver Monsieur, de ses calories. 

Jean Paul    Attendez, je crois qu’il reste un paquet de cacahuètes de l’année dernière… bon il est entamé mais…

 Jean Pierre     Non, y’en a plus ! Je les ai mangées la dernière fois. C’est con, si j’avais su… Sylvain, derrière le décor tape, à grand coup de marteau

Annick    Eh !!! Moins de bruit derrière ! 

Sylvain    (venant sur scène) Désolé, mais il y a un décor à finir !

Annick    Vous ne pouvez pas le faire en silence ?

Sylvain    En silence ! Comment voulez-vous bricoler en silence ! Ah les femmes…

Martine    Demande à Noël ! Il y arrive lui, à…bricoler en silence !

Sylvain    Est-ce que quelqu’un a utilisé le tournevis, je ne le retrouve pas ?

Julie    Non mais qu’elle équipe de branquignoles ! Pourquoi je me suis engagée dans cette troupe de… pfff… C’est pas « Nom de la troupe » que devrait s’appeler la troupe, c’est « Sénilité précoce »

Martine    Ca va aussi, toi ! On le sait que tu es la plus jeune. Ce n’est pas la peine de nous le rappeler sans arrêt, et de nous faire des remarques sur notre âge ou notre look. C’est vrai ! Ca commence à devenir pénible ! Nous aussi on a été jeunes.

Julie    Eh oui, vous l’avez été ! A propos de look, tes fringues, c’est la nouvelle collection Emaüs ? 

Martine    Qu’est qu’elle a ma robe ? Elle est très bien ! Et toi, tu t’es regardée ? 

Annick    (à Marilyne) Vous n’intervenez pas ? Je vois, aucune autorité ! (s’adressant à Julie) Dîtes donc, vous, la gamine ! Vous pourriez avoir un peu de respect pour une femme âgée. 

Julie    «La gamine» ? J’ai bien entendu ? «Gamine» ? Va pas falloir qu’elle me chauffe trop longtemps celle là ! Je vais y mettre un coup de boule ! ca va lui faire tout drôle à Mamy !

Sylvain    T’énerve pas Julie !

Martine    Dîtes madame Annick, c’est moi la « femme âgée » ? J’ai au moins quinze ans de moins que vous, alors hein…

Sylvain    Reste calme Martine !

Annick    Ah bon ? Pourtant vous faites beaucoup plus. La nature est parfois bien ingrate.

Sylvain    STOOOP !!! EST-CE QU’ON POURRAIT FAIRE DU THEATRE ? ON VIENT TOUS POUR CA ! LE THEATRE ! PARCE QU’ON AIME CA ET PARCE QUE CA NOUS DETEND ! (Ils baissent tous la tête, penauds. Marie Eve et Noël vont en profiter pour s’éclipser à nouveau)

Annick    C’est vrai, elle a raison, la grande folle ! 

Sylvain    La grande folle !? C’est de moi qu’elle parle ? Hou ! Si je ne me retenais pas…

Annick    (à Marilyne) Et bien sûr, vous ne dîtes toujours rien !

Marilyne     Mais si ! Mais si ! La grande folle a raison ! Non, je veux dire Sylvain à raison. Reprenons ! Où en était-on ?

Jean Pierre    Téton ! Héhéhé ! Téton !

Annick    Mais où je suis tombée, moi ? C’est un théâtre ou un asile ?

Marilyne    Jean Pierre, plutôt que faire des blagues à deux balles, tu ferais mieux de suivre ce qui se passe ! La pièce qu’on répète, c’est «L’affaire Bailly » ! Tu l’as pourtant bien eu le texte. C’est Jean Paul qui l’a distribué en début de… Jean Paul… ?

Jean Paul    Oui ?

Marilyne    Tu as bien distribué le texte à tout le monde ?

Jean Paul    Ben oui !… enfin… il me semble…

Martine    Bien sûr qu’il l’a fait ! Moi j’ai eu le mien ! C’est même à moi qu’il l’a donné en premier !

Marilyne    Jean Paul ?...

Jean Paul    Maintenant que tu en parles… Ca fait un moment que j’ai un texte en trop, je ne comprends pas pourquoi.

Julie    A ton avis ? Je te donne un indice. Il te reste un texte, et Jean Pierre n’en a pas… donc…

Jean Paul    …Pas compris l’indice !

Martine    Je ne voudrais pas avoir l’air, encore une fois, de prendre la défense de Doudou, mais, c’est vrai que Jean Pierre, on ne le voit jamais, alors c’est pas facile non plus…  

Jean Pierre    Evidemment, si on ne me dit pas tout. Moi je ne peux pas deviner.

Julie    Alors toi, hein ! Toi ! Alors hein ! Ca va comme ca !  Il est où ce texte ?

Sylvain    (entrant avec le texte et un vase avec fleurs) C’est ça que vous cherchez ?

Jean Pierre    (il prend le vase) Oh vous avez pensé à mon anniversaire. Merci, ça me touche !

Sylvain    Mais on s’en fout de ton anniversaire. Prend le texte, pas le vase !

Jean Pierre    Ah bon ? Alors c’est pas… pour mon anniversaire ? Vous n’y avez même pas pensé ! Pfff !!! Ca fait plaisir d’avoir des copains comme vous ! (il va s’assoir à l’écart)

Martine    C’est quoi ces fleurs ?

Sylvain    Un accessoire ! Il doit y avoir une table avec un vase de fleurs. En tant que décorateur, technicien et accessoiriste consciencieux, je m’intéresse au décor, moi ! Alors ça va où ?

Martine    Sur une table ! Tu viens de le dire !

Sylvain    Oui, mais, il n’y a pas de table !

Julie    Eh bien, en tant que décorateur, technicien et accessoiriste consciencieux, c’est ton problème ma grande. 

Martine        Et puis on s’en fiche de tes fleurs ! 

Sylvain    Comment on s’en fiche ! C’est un accessoire important. Alors si maintenant on se fiche des accessoires…

Annick    C’est vrai, il a raison ! Tout est important. Y compris les accessoires.

Marilyne    Tout à fait ! Je n’arrête pas de le dire !

Martine    Oui mais là… on ne fait que répéter ! Alors les fleurs, elles ne sont pas indispensables.

Marilyne    Ca fait 20 ans que je suis dans le théâtre. Ce n’est pas à moi que tu vas apprendre quelque chose, et surtout pas l’importance d’un accessoire, même en répétition. Un accessoire c’est…

Jean Paul    Stop ! S’il te plait ! On sait que tu es « l’ancienne ». On sait que c’est toi qui a la plus grande expérience dans le théâtre. On le sait ! Tu nous le rappelles assez souvent. 

Martine    Bien dit, Doudou ! 

Sylvain    Alors les fleurs, j’en fais quoi ?

Julie     Tu veux vraiment qu’on te le dise ?

Marilyne    S’il vous plait ! Pensez que nous ne sommes pas seuls ! (sourire à Madame Desplanches),  Pour une fois qu’on a l’immense honneur de recevoir un auteur, essayons de donner une bonne image. Montrons que nous sommes unis.

Annick    Ce n’est pas ce qui saute aux yeux en premier !

Marilyne    D’abord, si vous me le permettez, chère madame Annick, je pense qu’il serait bon de faire un rapide résumé de la pièce, afin que le public (sourire) comprenne bien les tenants et les aboutissants.

Jean Paul    Et puis ça permettra à Jean Pierre, s’il ne s’endort pas, (il donne un coup de pied dans la chaise de Jean Pierre, qui sursaute) de découvrir une pièce qu’on ne répète QUE depuis 5 mois. 5 mois pendant lesquels on a eu la chance de le voir au moins… deux fois.

Jean Pierre    Trois ! Faut pas exagérer non plus !

Marilyne    Alors je résume ! (au public) L’entreprise de composants électroniques dirigée par Monsieur Bailly, joué par Noël ici présent… Ben il est où ? (regards de tous) Et où est Marie Eve ?

Martine    Devine !

Jean Paul    A mon avis, ils parlent encore boulot ! C’est comme ça dans la police, ils n’arrivent jamais à décrocher.

Julie    J’y vais ! Je crois que Noël avait une petite envie pressante. Marie Eve doit lui tenir la… la porte.

Jean Paul    C’est vrai qu’elle a un souci la porte des WC. Soit elle ne ferme pas, soit elle reste coincée. Faudrait penser à la réparer.

Marie Eve et Noël reviennent, même jeu que précédemment. Pendant ce temps, Annick aura changé de place pour se mettre vers le  sac à provisions de Jean Pierre.

Marie Eve    Excusez-nous ! Une urgence !

Jean Paul    On sait ce que c’est ! Y’a des choses qui ne peuvent pas attendre.

Sylvain    Ce type, il me fait halluciner !

Marilyne    Je disais donc que l’entreprise de composants électroniques dirigée par Monsieur Bailly, joué par Noël, est au bord de la liquidation judiciaire. De plus, Monsieur Bailly, joueur de poker invétéré, a dilapidé la fortune de sa femme, Marie Rose, jouée par moi-même (sourire à Annick). Il croule sous les dettes de jeu, et doit rembourser une énorme somme à deux truands très menaçants. Monsieur Bailly est donc ruiné et bien entendu, sa femme, moi-même (sourire à Annick), n’en sait rien.  Les truands, sont joués par Jean Paul et  Jean Pierre.

Jean Pierre    Ah bon ? Alors je ne fais plus le policier 1 ?

Julie     Mais il n’y a jamais eu de policier 1 dans cette pièce ! Faudra penser à te faire greffer un cerveau, un de ces jours.

Marilyne    Je poursuis ! Monsieur Bailly, avec la complicité de Murielle, sa maitresse, jouée par Marie Eve…

Martine    Comme par hasard !

Marilyne    …complote, de vendre l’entreprise qui ne vaut plus rien, à madame Labuche, jouée par Martine, en lui faisant croire qu’il vient de mettre au point une invention révolutionnaire qui va faire de l’entreprise un leader mondial. Madame Labuche, pour connaître cette fameuse invention et la voler, va tenter de mettre dans les bras de monsieur Bailly, sa fille Aurore, jouée par Julie. Ca va ? Jusque là, c’est clair ? Jean Pierre ?

Jean Pierre    Ben… 

Jean Paul    Tu comprendras mieux en lisant le texte, la première fois.

Julie    Ou pas ! Faut pas rêver non plus !

Marilyne    Je continue. Monsieur Bailly, toujours avec la complicité de sa maîtresse, qui est ?... Jean Pierre ?...

Jean Pierre    Euh… je m’embrouille un peu avec tous les noms.

Jean Paul    C’est pourtant simple ! C’est qui, la maîtresse de Noël ?

Jean Pierre    Ah c’est facile ! La maitresse de Noël, c’est  ta femme! Mais t’es au courant ?

Jean Paul    Bien sûr ! 

Sylvain    Hein ? Depuis quand ? 

Jean Paul    Depuis qu’on a le texte et qu’on a distribué les rôles ! Monsieur Bailly, Noël, est l’amant de Murielle, Marie Eve. 

Sylvain    Ah ! Dans la pièce ! J’ai cru que…

Jean Paul     Que quoi ?

Sylvain    Non, rien !

Noël    Vas-y Marilyne continue, on perd du temps.

Marilyne    Bailly, avec la complicité de Murielle, complote d’éliminer sa femme Marie Rose, moi-même (sourire à Annick), et ainsi de toucher la prime d’assurance vie. Pour ce faire, il va demander aux deux truands. Truands qui sont ?... Jean Pierre ? 

Jean Pierre    … attends, faut que j’assimile tout, mais ça va me venir.

Marilyne    Jean Paul et toi ! 

Jean Pierre    Ah d’accord ! J’y suis !

Martine    Enfin !

Julie     Attends, c’est pas gagné !

Jean Pierre    Non, non, c’est bon, c’est clair !

Julie    Alléluia !!!

Jean Pierre    Mais euh… J’ai juste une question. Qui, fait le policier 1 ?

TOUS    Y’a pas de policier 1 !

Marilyne    Allez, en place ! Scène entre Bailly et les truands. Prêt ? Action !

Sylvain    Attendez, je ne suis pas prêt pour la musique d’intro !

Noël    Mais, c’est une répétition ! Pas besoin de musique d’intro. 

Sylvain    On fait les choses bien ou on ne les fait pas ! Et puis, à quoi ça sert que je me décarcasse pour trouver des musiques qui vont bien, si on ne les utilise pas ?

Jean Paul    Laisse le mettre sa musique, sinon, il va encore nous bassiner pendant des heures. Sylvain va mettre une musique totalement décalée (type Village People)

Annick    (manque de s’étouffer) Mais qu’est ce que c’est que ça ?

Julie    C’est ça ta musique qui va bien ? C’est complètement nul ! (Elle arrête la musique)

Martine    Ah non, je ne trouve pas, c’est gai, sa groove !

Julie    Oh la la ! La tristesse du déhanché !

Martine    Fais la maline, toi, du haut de tes 20 ans. Je te souhaite d’être comme moi quand tu en auras 50.

Julie    Eh ben moi je ne me le souhaite pas ! Et puis quand tu dis que tu as 50 ans… c’est 50… hors taxe.

Marilyne    C’est fini oui ? Sylvain ! Cette musique ne va pas du tout dans le contexte.     Allez, on y va sans musique ! Action !

Sylvain    Attendez !

Jean Paul    Quoi encore ?

Sylvain    Faut quand même se mettre dans la peau des personnages, non ? Alors il faut quelques accessoires. (tout en parlant, il va chercher un carton) Comment voulez-vous, vous mettre en situation sans rien !? Il faut un minimum de crédibilité tout de même. Et puis il faut aussi s’habituer à jouer avec les accessoires, ça change le jeu. (il fouille dans le carton) Mais… il manque des trucs là-dedans ! J’ai fait l’inventaire il n’y a pas longtemps. Il manque des trucs.

Martine    Comment ça, il manque des trucs ? Tu as dû te tromper.

Sylvain    Ah non, j’en suis certaine ! Il manque des trucs ! Et c’est pas la première fois que des choses disparaissent.  Au fait ! Est-ce que quelqu’un a vu le marteau, je ne le retrouve pas ?

Jean Paul    Il n’y a que toi qui l’utilise alors… 

Sylvain    Il n’est plus là où je l’avais posé ! Et là dedans, il y avait des bijoux fantaisie ! Eh ben, ils n’y sont plus !

Jean Paul    C’est pas très grave. En même temps, je ne comptais pas en mettre.

Marilyne    Arrêtons de perdre du temps, on verra ça plus tard. Distribue tes accessoires et on y va.

Annick    Oui, il serait temps ! Ca commence à devenir un peu long ! Pendant que vous distribuez vos objets, je vais passer un coup de fil, en coulisse. Annick sort. Elle emmène son sac.

Sylvain    (il sort des chapeaux qu’il met sur la tête des truands, puis un petit et un gros pistolet) C’est qui le chef des truands ?

Jean Paul    Pourquoi ?

Sylvain    Ben pour savoir qui c’est qui a la plus grosse ! C’est toujours le chef qui a la plus grosse ! (il pouffe) Je parle de l’arme bien sûr ! Parce que pour ce qui est du reste, ce n’est pas forcément vrai ! Moi dans la boite où je bosse, j’ai très bien connu un chef, et bien…

Marie Eve    Oui ! Bon ! Stop ! On ne tient pas à avoir de détails !

Jean Paul    Le chef c’est moi, donne !

Jean Pierre    Et pourquoi ce serait toi le chef ? Je devais faire policier 1, je peux très bien faire gangster 1.

Jean Paul    S’il te plait, ferme là, c’est déjà assez compliqué comme ça !  Retour d’Annick

Sylvain    (distribue les armes puis se tourne vers Noël) Enlève ton pantalon !

Noël    Pardon ?

Sylvain    Enlève ton pantalon, ne fais pas ta timide !

Noël    Pourquoi j’enlèverais mon pantalon ?

Sylvain    Mais enfin, réfléchi ! Tu es chef d’entreprise, tu as donc un peu de prestance. Tu ne peux pas être en jean !

Noël    Mais on s’en fout ! Ce n’est qu’une répétition ! Je ne vais quand même pas me déshabiller devant tout le monde ! 

Martine    Monsieur n’enlève son pantalon qu’en privé ! Et on sait avec qui !

Jean Paul    Ah non, je ne sais pas moi ! Pourquoi ? Tu as une copine ? Tu ne m’as rien dit ! Vas-y raconte ! C’est qui ? On la connait ?

Noël    Je ne crois pas que ce soit le moment ! Et pas question que je me déshabille !

Sylvain    Ho la la ! Je ne te savais pas aussi pudique. Ou alors peut être que tu as un slip troué !

Marie Eve    Ca ne se peut pas, il n’en met pas !

Martine    Ah bon ? Comment tu le sais ?

Marie Eve    Hein ? Eh bien… non je disais ça comme ça ! J’en sais rien ! Comment veux-tu que je le sache ? Allez faut commencer maintenant.

Noël    Oui, allons-y ! Trêve de bavardage !

Chacun reprend sa place. Jean Pierre a son texte dans une main, un sandwich dans l’autre, qu’il est allé chercher pendant les répliques précédentes.

Marilyne    C’est bon ? Action !

(Très mal joué)
Fredo (Jean Paul)    Un mois ! Pas un jour de plus ! Si dans un mois, tu n’as pas réglé ta dette…

Jo le fou (Jean Pierre- la bouche pleine et lisant son texte) Tu es un homme mort !

Bailly (Noël)    Un mois ?! Comment voulez-vous que je réunisse une telle somme en si peu de temps ?

Fredo        C’est ton problème !    Un mois ! Pas un jour de plus !

Jo        Sinon… Pan, pan… et re-pan, pour être sûr ! A bon entendeur…

Marilyne    Et les truands sortent. Qu’est ce que vous en pensez madame Annick ? Pas mal, non ?

Annick        Non ! C’est pitoyable ! Il n’y a pas de… et puis ça manque de…

Marilyne    C’est ce que je me disais aussi ! Ca ne va pas du tout ! Il n’y a pas de… et puis ça manque de… Bien sûr, c’est évident !

Julie        Moi, j’ai trouvé ça pas mal ! Bon pas terrible ! Mais pour eux, c’est bien. Ils sont au taquet de leurs possibilités.

Martine    Moi j’ai trouvé très bien ! Surtout Doudou !

Annick    Les gangsters ne sont pas assez menaçants, et Bailly, n’a pas assez peur. On n’y croit pas une seconde.

Marilyne    C’est exactement ça ! Avec votre permission madame Annick, puis-je leur montrer ? 

Annick    Je ne sais pas si  c’est une bonne idée, mais, au point où on en est…

Marilyne    Il ne faut pas leur en vouloir, ce ne sont que de touts petits comédiens amateurs. Aucune analyse du texte, aucune étude de la psychologie des personnages. L’amateurisme total !

   Elle va faire les trois rôles, très  sur-joués, très « cliché ». En changeant de voix à chaque personnage de façon ridicule et en prononçant bien chaque syllabe.
Fredo ! Fait le plus mafioso. Tu peux même prendre un accent italien ou du sud, ou corse, du genre : « Un mois ! Pas un jour de plus ! Si dans un mois, tu n’as pas réglé ta dette… » 
Jo ! « Tu es un homme mort ! »  Fait lui un geste menaçant ! 
Noël ! Il faut que le public perçoive ta peur : (voix chevrotante et gestuelle très exagérée) « Un un un mois ?! Coco… coco… comment voulez-vous que je…je…je réunisse une telle… une telle somme en… en… en si peu de… de… de temps ? » Tu vois le genre ?

Noël        D’accord pour la peur, mais Bailly, c’est pas non plus un pantin bègue ! Là, c’est peut être un peu beaucoup, non ?

Marilyne    Non, c’est parfait comme ça ! C’est comme ça qu’il faut le jouer ! Je continue. Toujours très menaçant. Fredo ! « C’est ton problème ! Un mois ! Pas un jour de plus ! » Jo ! « Sinon… Pan, pan… et re pan pan, pour être sûr ! A bon entendeur… »  Et vous sortez en roulant des épaules. Vous comprenez le truc ? Allez, on la refait ! Action !

Ils se remettent en place et rejouent la scène à la sauce Marilyne. C’est très mauvais.  

Fredo (Jean Paul)    Un mois ! Pas un jour de plus ! Si dans un mois, tu n’as pas réglé ta dette…

Jo le fou (Jean Pierre)    Tu es un homme mort !

Bailly (Noël)    Un mois ?! Comment voulez-vous que je réunisse une telle somme en si peu de temps ?

Fredo        C’est ton problème !    Un mois ! Pas un jour de plus !

Jo (il a toujours son sandwich et s’en sert comme arme) Sinon… Pan, pan… et re pan pan, pour être sûr ! A bon entendeur… 

Annick    (A Jean Pierre) Vous comptez lui casser la tête à grands coups de sandwich ? Vous ne pouvez pas le lâcher, quand vous jouez ?

Jean Pierre    Pour qu’on me le pique ! Et puis quoi encore ? Bon, je suis crevé moi ! On fait  une pause ?

Martine    Une pause ? On vient juste de commencer !

Julie    Moi je sors après, alors si on pouvait accélérer ! J’ai rendez-vous avec des potes. Des jeunes ! Des beaux ! Ca me changera un peu d’ici !

Martine    Tu sors où ?

Julie    Je suis invitée chez plein de copains différents. Max fête son anniversaire, Kévin arrose son permis, Ludo arrose lui son diplôme et Kylian organise une fête parce que les autres ne l’ont pas invité, alors je ne sais pas, j’hésite. Mais si on pouvait accélérer le mouvement, ça m’arrangerait.

Marilyne    En tous cas, c’était nettement mieux ! Vous voyez la différence si vous suivez mes conseils ? Vous en pensez quoi les filles ?

Sylvain        Je préfère ne pas me prononcer ! 

Julie        Pour moi, c’est nul !

Marie Eve    Et le mot est faible !

Sylvain        Finalement, je peux me prononcer ! C’est archi nul ! C’est une insulte au théâtre ! Excuse-moi, Marilyne, mais plus personne, à part toi, ne joue comme ça ! On croirait une mauvaise parodie d’une mauvaise pièce de 1902. 

Marilyne    Vous n’y êtes pas du tout ! Il faut comprendre ce qu’à voulu l’auteur. Se mettre dans sa tête ! N’est ce pas chère madame Annick ?

Annick    A vrai dire… évitez de vous mettre dans ma tête. Mais… dîtes-moi… Il y a longtemps que vous faites du théâtre, vous même ?

Marilyne    Moi, plus de 20 ans. Eux, beaucoup moins ! Ca se voit !

Annick    Vous n’avez jamais pensé à arrêter ? Vous devriez ! C’est une catastrophe !

Martine    Même si nous ne sommes que des petits amateurs, vous pourriez tout de même respecter un tant soit peu notre travail. 

Annick    Votre travail !? Savez-vous ce qu’il me donne envie de faire, votre travail ? Vous interdire de jouer ma pièce ! Faire dissoudre votre troupe ! Fermer cette salle ! Et, pour avoir la certitude que vous ne sévirez plus, j’ai presque envie de faire raser le village ! Oui ! Quand je vous vois, quand je vous entends, j’ai des envies de meurtres ! Je n’ai jamais vu des comédiens aussi mauvais. Elle a raison la gamine quand elle dit que c’est nul. C’est même pire que ça !

Julie    Elle va finir par se le prendre le coup de boule ! Si elle m’appelle encore une fois «la gamine », je lui pète les chicots !

Jean Paul    Moi aussi, elle commence à me chauffer les oreilles celle là ! Et quand j’ai les oreilles qui chauffent…

Martine    Calme-toi Doudou ! Calme-toi !

Jean Paul    Laisse ! Faut que ça sorte ! Maâme Desplanches ! Si ça ne vous plait pas, rien ne vous empêche de repartir ! Personne ne vous a demandé de venir ! On ne vous a pas invité !

Sylvain    Ben si, justement ! 

Jean Paul    Hein ? On l’a invité ? Qui c’est l’idiot qui a eu cette idée ? 

Sylvain    Ben… toi ! Quand il y a une connerie à dire…

Jean Paul    Oui… bon ben… j’pouvais pas savoir que c’était une chieuse !

Annick    Oh !

Martine    C’est vrai ! Doudou, il ne pouvait pas deviner ! C’est pas sa faute !

Marilyne    On va se calmer ! Madame Desplanches va nous dire ce qui ne va pas ! Et on va essayer de corriger.

Annick    Ce qui ne va pas ? Ca ira plus vite de vous dire ce qui va ! C’est facile ! Ce qui va : RIEN ! Il n’y a rien de bon ! 

Marilyne    Forcément, ils n’écoutent pas mes conseils ! Je me demande pourquoi je perds mon énergie à essayer de leur inculquer les bases des arts scéniques. Autant essayer d’apprendre à jouer au foot à un cul de jatte ! Quand je pense au temps que je perds alors que je pourrais mettre mon talent au service de grands comédiens. C’est dans une grande ville que je devrais aller ! Paris !

Annick    Vous à Paris ! Ah ah ah ! Vous à Paris ! Mais vous à Paris, et Paris devient la capitale de l’inculture et de la médiocrité ! Ma pauvre fille, pour diriger des comédiens et faire de la mise en scène, il faut connaître un tout petit peu le théâtre, ce qui, d’évidence, n’est pas votre cas.

Jean Pierre    Aïe ! Alors là, ça va chauffer ! 

Marilyne    Non mais dîtes donc vous ! Alors parce que vous êtes « auteure », vous voulez m’apprendre, à moi, les arts de la scène ? Vous prétendez en savoir plus que moi ? Vous osez remettre en cause mes qualités théâtrales. A moi ?  Moi, qui ai prodigué mes conseils avisés à une quantité innombrable de troupes. Comme, « Les planches pourries » de Monziguet le vieux, « La scène en folie » de Bourg la vilaine, « Les bouzinquins » de Bouzigue le Grand, « Les dégazés » de Rastifol, « Les Nique ta scène » de Mézydon, et j’en passe.

Jean Pierre    Que des patelins qu’on a envie de connaître ! 

Sylvain    Tu oublies juste de préciser qu’après ton passage, toutes ces troupes ont disparues. 

Julie    C’est vrai ! Elles commençaient leurs représentations devant 200 personnes et quand on rallumait les lumières à la fin, il restait deux spectateurs, qui dormaient !

Marilyne    Parce que le public de campagne est ignare, comme vous ! Ce qu’il veut, c’est des gros gags, bien bas de gamme. Des dialogues ras les pâquerettes, du genre : (gros accent paysan » « Salut le Jeannot ! Alors, t’as fini de biner ton jardin ? » « Ouais, maintenant je vais biner la Jeannette ! Et toi l’Auguste, comment ça se fait-y que tu soyes tout mouillé ? » « C’est parce que j’m’a trébuché à la pêche et qu’ j’a tombé l’cul dans la flotte ». Voilà ce qu’ils veulent ! Mais dès qu’on élève le niveau, y’a plus personne. 

Annick    Parce que vous pensez élever le niveau ? Pour l’amener au vôtre, sans doute, c’est à dire au niveau triple zéro !

Marilyne    Moi ? Triple zéro ? Mais vous êtes qui, vous, pour dire ça ? Je suis sûre que vous n’êtes même jamais montée sur une scène. Je vais vous montrer ce qu’est une vraie comédienne.

Annick    Ah oui ! J’aimerais beaucoup voir ça avant de partir ! 

Marilyne    (très énervée) Vous allez voir ce que vous allez voir ! Noël, amène tes fesses ! On fait la scène entre les époux Bailly ! Et on se sort les tripes ! Faut lui montrer ce qu’on vaut à cette rascasse ! Prenez-en de la graine Madame l’auteure !

Jean Pierre    (qui fouille dans son sac à provisions) OH ! STOP ! Que personne ne sorte !

Julie    Qu’est ce qui t’arrive papy ?

Jean Pierre    Il me manque un sandwich ! Il m’en restait quatre, il n’y en a plus que trois ! Qui c’est qui m’a piqué un casse dalle ?

Marie Eve    Mais personne ! On te connait, et personne n’oserait le faire ! Calme-toi, tu as dû mal les compter, c’est tout ! Allez, on enchaine !

Jean Pierre    Je suis sûr qu’il en restait quatre ! Je ne suis pas fou tout de même !

Marilyne    Alors les gangsters viennent de sortir. J’arrive.

Mme Bailly (Marilyne-très mal joué) Ah mon ami, vous êtes là ! Mais que vous arrive t-il ? Vous semblez soucieux et vous avez une mine de papier mâché !

Noël        Hein ?

Annick        Mais ce n’est pas du tout le texte ! Vous devez dire « Ah mon chéri, tu es là ! Ca n’a pas l’air d’aller. Qu’est ce que tu as ? »

Marilyne    Oui, mais j’ai changé le texte !

Annick    Mais de quel droit vous le permettez vous ? 

Marilyne    Parce que je trouve que ce n’est pas très bien écrit. Excusez-moi, mais, je dirais que le texte est… comment dire… merdique ! Voilà, c’est le mot qui convient ! Merdique ! Je me demande qui peut écrire comme ça ! Ah oui, c’est vous madame Desplanches ! Excusez-moi, mais je pense qu’il faut y apporter quelques retouches.  Donc, on va le faire à ma façon. Ce sera beaucoup mieux si les époux se vouvoient. Ca fait plus classe. Plus « grand siècle ». L’action doit se situer dans les années 20 ou 30 avec des personnages très mondains.

Jean Pierre    (qui fait la gueule dans son coin) J’suis sûr qu’il en restait quatre !

Annick            Les années 20 ? Et pourquoi pas au moyen âge ?

Jean Paul    Ah ouais ! Et nous on serait des gangsters avec des arcs ou des arbalètes !

Sylvain        Genre Robin des bois ! Je te vois bien avec un chapeau à plume et en collant !

Julie        N’importe quoi ! Réfléchi un peu Marilyne ! Dans les années 20, il ne devait pas y avoir beaucoup d’entreprises de composants électroniques !

Sylvain        Bien sûr ! Et puis ça veut dire que je devrais revoir tous les accessoires. Chercher d’autres musiques. Et me retaper tous les costumes ! 

Noël        Oui, c’est vrai ça, on ne va pas tout changer ! Si tu veux le faire snob, on peut essayer, mais on reste à notre époque !

Marilyne    Vous êtes désespérants ! Je reprends !

Jean Pierre    Je sais quand même compter jusqu’à quatre ! 

Martine    La ferme Jean Pierre !

Jean Pierre    On voit bien que c’est pas toi qu’on a volé ! Moi ça me mets les nerfs !

Marilyne    C’est bon, on peut y aller ?

Jean Pierre    Faut pas déconner avec ça ! Trois, c’est pas quatre !

       Mme Bailly (Marilyne) Ah mon ami, vous êtes là ! Mais que vous arrive t-il ? Vous semblez soucieux et vous avez une mine de papier mâché ! 

       Bailly (Noël-même jeu qu’elle) Non, non ! Cela va, ma chère amie, cela va ! Je suis juste un tantinet patraque.

Annick        Mais ce n’est pas ça du tout !

Noël        Oui je sais, mais Je fais comme Marilyne ! J’adapte !

Marilyne    (à Annick) Si vous pouviez vous taire un peu et nous laisser travailler… Vas-y, reprends.

       Bailly (Noël-accent bourge)     Non, non ! Cela va, ma chère amie, cela va ! Je suis juste un tantinet patraque. (changeant de voix) Ou p’t’ête ben que j’couve une bonne gastro ! 

Annick        Oh Mon Dieu !

Noël          Ca, je le dis comme ça, parce qu’il en faut pour tous les publics ! Le début c’est pour le public intello de la ville et la fin ça devrait plaire « au public ignare des campagnes » ! Il en faut pour tous !

Marilyne    Bien ! Bonne initiative ! J’enchaîne !

Jean Pierre    Avec trois, j’ai pas mes calories !

Marie Eve    Ferme ta bouche Jean Pierre !

       Mme Bailly    Malgré vos petits désagréments gastriques, j’espère que vous n’avez pas omis que, ce soir, nous avions une réception.

       Bailly        Rassurez-vous, très chère, je n’ai pas omis ! Toutefois, je vous prie de m’excuser ma tendre, mais ma mémoire me joue un vilain tour. Figurez-vous que j’ai « omis », qui, nous réceptionnions.


Annick        Oh mon Dieu !

       Mme Bailly     Décidément mon pauvre, vous êtes une tête de linotte. Dois-je vous rappeler que nous avons ambitionné de céder notre société à Madame Eugénie Edmonde de Labuche.

Annick        Oh mon Dieu !

Marilyne    (à Annick) Ca va, on ne vous dérange pas trop ? Si vous pouviez arrêter les « Oh mon Dieu » toutes les deux secondes...

Marie Eve    C’est vrai ! Vous dérangez une grande artiste. Que dis-je, une grande artiste ? Une immense comédienne ! Un peu de respect pour le talent à l’état pur. Excuse-la Marilyne ! Continue, s’il te plait ! Te voir jouer est un vrai régal pour des béotiens comme nous.

Jean Paul    Des quoi ?

Martine    Des béotiens !

Jean Paul    Ah non, moi je suis français ! Pas béotien ! 

Annick            Oh mon Dieu !

Marilyne    On continue ! 

        Mme Bailly    ...de céder notre société à Madame Eugénie Edmonde de Labuche…

Jean Paul    C’est où la Béotie ?

Julie            DANS TON CUL !

Annick            Oh mon Dieu ! 

Jean Pierre    En plus c’était un au jambon ! Mon préféré !

Julie            Ta gueule Jean Pierre ! 

Annick            Oh mon Dieu ! 

Marilyne    Alors Madame Annick ? Ca vous en bouche un coin ça, non ? 

Annick    Je suis atterrée ! (Elle se lève) On va en rester là, et il est hors de question que… (Marilyne la force à s’assoir)

Marilyne    Ah mais non ! Maintenant on fait la scène avec Madame Labuche et sa fille. Martine, Julie, en piste, c’est à vous. (à Annick) Vous, pas bouger !

Martine    C’est un peu décousu comme répétition ! Pas facile de suivre !    

Julie    Je suis bien d’accord ! Et après on s’étonne que ça ne va pas !

Jean Pierre    Surtout si on commence à piquer les sandwichs !

Marilyne    Tu nous gonfles Jean Pierre ! On enchaine. Entrée des Labuche. Action !

Sylvain    Attendez, il faut mettre un peu l’ambiance. Alors c’est quoi comme soirée ? 

Marilyne    Repas d’affaire. Les Bailly veulent vendre leur société, je te rappelle. 

Sylvain    Alors si c’est un repas, il faut d’abord une table et des chaises (ils les installent) Sur la table, je verrais bien une jolie nappe brodée, et un chandelier. Ca fait chic, un chandelier ! Et puis des fleurs, aussi. 

Martine    Un chandelier et des fleurs ! C’est un repas d’affaire, pas un dîner d’amoureux !

Sylvain    Vous les filles, vous n’avez aucun goût !

Julie    Ca, tu n’en sais rien, tu ne nous as jamais goûtées. 

Jean Pierre    Il y en a ici qui préfèrent goûter les sandwichs des autres ! 

Sylvain    Oh tu nous les brises Jean Pierre ! Alors, pour les tenues, je pense que…

Noël    Tu crois que c’est le moment ? On verra ça plus tard ! 

Sylvain    Comment voulez-vous que je fasse du bon travail ? Il faut bien que je sache comment vous allez être habillés. Si j’ai de la couture à faire, il faut que je le sache rapidement. Ca ne se fait pas en claquant les doigts.

Noël    Alors pour moi, ce sera une petite robe légère, rose et blanche, avec un jupon en dentelle. Ca te va ?

Sylvain    Crotte ! 

Marilyne    On y va ! Entrée des Labuche.

    Martine et Julie se préparent.

Martine    Elle est où la porte d’entrée ?

Noël    On a dit : fond, centre.

Julie    Ah oui ? Et on fait comment ? On passe à travers le mur ?

 Tous regardent le mur du fond où il n’y a pas de porte, puis se tournent vers Sylvain

Sylvain    Quoi ? Ah non, je ne démonte pas tout ! La porte elle peut être n’importe où. Tiens, elle sera ici ! (côté pas encore monté) C’est très bien là.

Julie    Comment veux-tu qu’on s’y retrouve, ça change à chaque fois !

Annick    STOOOOP !!! Je n’en peux plus, je vais craquer ! On arrête tout ! Je préfère partir. Il va sans dire qu’il est hors de question que vous jouiez ma pièce. Donc je vous retire mon autorisation. Jamais vu une troupe aussi minable.

Sylvain    Mais vous ne pouvez pas faire ça ! On va devoir trouver une autre pièce et moi je vais devoir tout recommencer. Le décor, les accessoires, les bibelots, les costumes.

Annick    (exagérément efféminée) Oh ma pauvre fille ! Faites attention à ne pas écailler votre vernis à ongle en faisant les ourlets.

Noël    Eh ! Faudrait pas exagérer, quand même ! Là, vous allez trop loin !

Marie Eve    Ouais, ça commence à bien faire !

Annick    Alors vous, je vous conseille de ne pas la ramener ! Avant de partir, je pourrais dire des choses qui pourraient beaucoup vous embarrasser. Vous voyez de quoi je veux parler ? 

Julie    Elle va se le prendre le coup de boule la Desplanches ! Elle va se le prendre !

Annick    La violence maintenant ! Ca ne m’étonne pas de la part d’une gamine effrontée et vulgaire qui ne respecte rien ni personne. Ah elle est belle la jeunesse ! 

Jean Paul    S’en prendre à une gamine, c’est pas très joli, joli !

Julie    Je ne suis pas une gamine !

Annick    (à Jean Paul) Quant à vous, vous feriez bien d’ouvrir un peu les yeux ! Il est vrai qu’avec le Q.I. d’huitre que vous avez, on ne peut pas trop vous en demander.

Martine    Attention à ce que vous dîtes sur Doudou ! Q.I. d’huitre ? J’vais vous en faire bouffer, moi, des huitres ! Et sans les ouvrir ! 

Marie Eve    Madame Desplanches, je crois qu’il vaut mieux que vous partiez, sinon, ça va mal finir !

Annick    C’est ce que je vais faire de ce pas ! 

Jean Pierre    Attendez ! (s’approchant d’elle) 

Annick    Ne me touchez pas ! Si vous me touchez, je crie ! (à Marie Eve et Noël) Vous êtes de la police, vous ! Vous devez me protéger !

Marie Eve    Jean Pierre, s’il te plait, ne la frappe pas trop fort.

Jean Pierre    Mais je ne veux pas la frapper. Je veux juste voir… (Il montre quelque chose sur la robe de Annick) C’est quoi ça ?

Annick    Quoi ?

Jean Pierre    Sur votre robe ! Du beurre et des miettes ! Des miettes de MON sandwich, je les reconnais ! 

Annick    Eh bien oui ! C’est moi qui l’ai bouffé votre sandwich ! Et j’espère que vous vous étoufferez avec ceux qui vous restent.

Jean Pierre    Je le savais ! C’est maintenant que je vais la frapper ! (il s’avance menaçant)

Marie Eve    Oh oh du calme ! Tu ne pas tout de même pas l’agresser pour un casse dalle ?

Jean Pierre    Je vais me gêner ! On peut tout me dire, tout me faire, je m’en fiche, mais  toucher ma nourriture, ça, jamais ! 

Marie Eve    Je te rappelle que Noël et moi, nous sommes flics ! Tu as envie qu’on t’embarque ? 

Jean Pierre    Ouais, bon, ça va ! Mais filez vite !

Annick    Excusez-moi mais avant d’avoir le plaisir de vous quitter, je dois aller au petit coin.

Julie    Eh ben Mamy, on a oublié de mettre une couche ?

Marie Eve    Allez-y et filez ! En bas, il y a une porte qui donne sur l’extérieur. Inutile de repasser par ici, c’est mieux pour vous.

Annick      Mesdames, Messieurs, et l’autre, je ne vous salue pas ! (elle sort coulisses)

Sylvain    C’est moi qu’elle appelle « l’autre » ? Je vais en faire de la bouillie d’auteur. Retenez-moi ! Retenez-moi ! (personne ne bouge) Eh ben retenez-moi, enfin !

Jean Pierre    Elle a de la chance ! Si vous n’étiez pas là, je lui tordrais le cou.

Marilyne    Si ça peut te consoler, je crois qu’on a tous envie de lui tordre le cou ! 

Jean Paul    Je confirme !  

Martine    Et moi je confirme ce que confirme Doudou ! 

Marilyne      Quelle désagréable bonne femme ! Excusez-moi, j’ai besoin de me rafraichir un peu et me refaire une beauté. (elle sort)

Julie     Eh ben y’a du boulot pour au moins deux jours ! Moi, je vais en profiter pour passer un coup de fil à mes potes. Ils doivent s’inquiéter de ne pas me voir arriver. (elle sort) 

Sylvain     Et moi je vais rechercher mon marteau, et les autres trucs qui manquent. C’est quand même dingue tous ce qui disparait. (il sort)

Jean Paul      Je vais aller boire un coup !

Martine     Je viens avec toi Doudou ! (ils sortent)

Jean Pierre     Moi, je vais aller fumer une cigarette pour me calmer. (il sort)

Noël    (plein de sous entendus) Et nous ? On  fait quoi ?

Marie Eve    Encore ! Mais tu ne penses qu’à ça !     (il l’enlace, elle se retrouve face au public) 

Marie Eve    Aaaah ! (elle le repousse)

Noël    Qu’est ce qu’il y a ?

Marie Eve    Les gens, dans la salle !

Noël    Oh merde ! Je les avais complètement oubliés.

Marie Eve    Moi aussi !

Noël    Bon, alors, on fait quoi ?

Marie Eve    Je pense qu’il serait temps de faire une pause.

Noël     Oui, tu as raison ! Pendant ce temps, ils pourront se dégourdir les jambes, se désaltérer à la buvette, et aller faire un petit pipi. 

Marie Eve     Rideau !

                    ACTE 3
Ils sont tous là, sauf, Sylvain, Marie Eve et Noël.

Jean Pierre    (qui a repris un sandwich) Bon alors on fait quoi ?

Marilyne    Comment ça, « on fait quoi » ? On continue la répétition ! Qu’est ce que tu veux faire ?

Julie    Je te ferai signal que la vieille peau veut nous interdire sa pièce. Alors la répétition, elle ne sert plus à rien. On ne va pas répéter un texte qu’on ne pourra pas jouer. Et puis moi ça m’arrange, je vais pouvoir aller retrouver mes copains et faire la teuf plus tôt que prévu. 

Jean Paul    Tu crois vraiment qu’elle va nous l’interdire ? Moi j’y crois pas ! 

Martine    Moi, je pense tout comme toi, Doudou ! 

Julie    « Moi je pense tout comme toi Doudou ». Un cerveau pour deux, ceux là !

Marilyne    De toute façon, travailler ne pourra pas vous faire de mal, vu votre niveau…

Julie    Ca y est, la voilà qui recommence l’autre !  Tu te rappelles ce qu’elle a dit, ta copine l’auteure, sur le tien de niveau ? Alors hein…

Sylvain OFF    Aaaaaaah ! (il arrive complètement affolé)     Ah … La… Oh mon Dieu… la… elle est… ah !

Jean Pierre    Tu pourrais t’exprimer plus clairement !?    

Sylvain    C’est la… ah… elle est… du sang… ah horrible… la tête… paf ! Ah… 

Jean Paul    Du sang horrible la tête paf ! Qu’est ce que ça peut bien vouloir dire ?

Pour connaitre la suite et la fin contactez-moi : piercy.noel@neuf.fr  ou piercy.noel@gmx.fr  en indiquant le nom de votre troupe et sas localisation

    NDA : Pour info, la suite va se dérouler sous forme d'une enquête policière